Élevé par une mère célibataire et quasi-inexistante, Kwang Ho avait toujours été la brute de l'école. Déjà à l'époque des bacs à sable, il était le gamin qui molestait et volait le goûter des autres enfants. Pas vraiment une allure de mastodonte, il n'hésitait pourtant pas à user de la menace et de ses poings pour obtenir ce qu'il voulait. Ça avait toujours été sa méthode. Il ne le faisait pas par plaisir. Plus par jalousie. Parce que pendant que tous ces gamins s'extasiaient devant le joli repas que leur avait fait leur maman, la sienne rentrait à minuit du travail et lui refilait un plat déjà préparé dont même le chien du voisin ne voulait pas. Et il avait plusieurs fois essayé de le lui refiler pourtant. Donc il prenait de force ou volait ceux des autres pour « faire semblant » d'avoir une vraie maman qui s'occupait de lui. Bien sûr, maintenant qu'il y repensait, il se demandait comment il avait pu penser de cette façon. Sa mère s'était occupée de lui du mieux qu'elle pouvait avec les moyens qu'elle avait. Il ne lui en voulait pas. Du moins, il ne lui en voulait plus. Mais les habitudes ont la vie dure et malgré les remontrances, les soucis causés et les renvois de ses différentes écoles, il continuait de se comporter en connard fini.

Les bagarres étaient devenues rengaines et il n'était pas rare qu'il revienne le nez cassé ou la lèvre ouverte chez lui. Il ne comptait même plus le nombre de fois où sa mère l'avait emmené aux urgences à cause d'un bras brisé. C'était comme si les attelles étaient devenues sa deuxième peau. Et pourtant, il recommençait. Bien sûr, tout le monde sait à quel point les rumeurs vont vite. Et sa réputation de sale gosse le précédant, au bout d'un certain temps ce n'était même plus lui qui allait chercher les emmerdes : C'était elles qui venaient à lui. Autant dire que dès qu'un balourd se pointait avec un air de provocateur et des insultes plein la bouche, il se recevait son poing dans la tronche. Il avait toujours été très impulsif.

Au collège, on l'évitait. Au lycée, c'était la même chose. Il n'avait pas vraiment beaucoup d'amis. Du moins, pas beaucoup d'amis « fréquentables » comme disait sa mère. Il était d'accord avec elle sur ce point. Mais ces types « peu fréquentables » lui ressemblaient et il se sentait à sa place avec eux alors quitte à la contrarier, autant que ce soit pour quelque chose qui valait le coup.

Et merde, ça avait valu le coup ! Il ne s'était jamais autant éclaté qu'avec son groupe de potes. Peut-être que ça impliquait quelques vols de barres chocolatée dans les bar-tabac ou quelques soirées trop arrosées qui finissaient la plupart du temps au commissariat, mais au moins, avec eux il souriait. Chose qu'il ne faisait pourtant plus depuis des années.

Et puis un jour, son père a débarqué. Père qu'il croyait mort ou disparu, dont il n'avait jamais vu la tête et qui réclamait son fils. Et tout ça pour quoi ? Pour avoir un héritier qui dirigerait son entreprise familiale. Ce n'était pas par amour ou curiosité, non. Juste pour reprendre les rênes de son entreprise pharmaceutique. Et le pire dans tout ça, c'était que sa mère l'avait confié sans remord à cet inconnu qui revendiquait ses droits paternels sur lui. Il avait eu l'impression d'être un objet que l'on vend au plus offrant. Du jour au lendemain, il était passé d'appartement minable en banlieue de Incheon à véritable palace en plein Séoul. Nouveau lycée, nouvelle maison et nouvelles règles. Kwang Ho n'avait pas la réputation de craindre beaucoup de choses mais il devait avouer que son père avait une colère froide absolument terrifiante. Si au début il avait joué au plus malin, il s'était vite rendu compte qu'il ne valait mieux pas trop attiser la colère de son cher papa. D'ado rebelle, il était passé à mauviette de fiston, obéissant au doigt et à l’œil aux ordres de son père.

Ce fut donc sans sa grande gueule qu'il reprit ses études. Sérieusement. La seule fois où il avait séché les cours, son père l'avait tellement engueulé que Kwang Ho en avait eu les larmes aux yeux. Et il n'était pourtant pas du genre sentimental. Il avouait qu'il avait pensé à la fugue plus d'une fois mais il ne voulait même pas imaginer comment son père réagirait s'il le rattrapait. Il vivait sous la crainte d'une engueulade et il se trouvait pitoyable de réagir ainsi.

Après deux longues et dures années de travail acharné en internat dans un lycée renommé, il ressortit diplômé. Certes, les commentaires sur son comportement n'étaient pas des plus flatteurs mais il s'en était sorti avec des résultats satisfaisants (merci à ses facilités en biologie et en mathématiques). Bon, visiblement satisfaisant n'avait pas la même définition pour son père mais ce dernier avait tout de même reconnu des efforts. Et visiblement, il avait bien mérité de très longues vacances après ça. Il ne savait pas vraiment ce qui était venu à l'esprit de son père pour l'envoyer ainsi à Busan passer une année sur un damné bateau. Sans doute l'affiche qui le promouvait en face de chez eux. Dans tous les cas, il n'était pas trop partant. En parti à cause de Titanic (ce film l'avait traumatisé du bateau à vie, sérieusement). Mais il ne souhaitait pas vraiment contrarier son père qui se montrait bizarrement généreux pour une fois.

Et c'est ainsi qu'il s'en alla pour Busan avant d'embarquer sur le palace flottant rempli de vacanciers sans doute plus pompeux et riches les uns que les autres. S'il finissait glacé au milieu de l'océan arctique, il jurait qu'il reviendrait hanter son daron.