Née de parents richissimes, Eun Bin n'a jamais réellement eu motif à se plaindre durant son enfance. En effet, enfant gâtée, elle fut celle à qui l'on passait tous les caprices, celle qui n'avait qu'à renifler pour obtenir un poney. Oh sans doute fut-ce merveilleux pour cette enfant, qui devint alors évidemment la peste que tous connurent longtemps, celle qui ne pouvait saisir le sens de la pauvreté, pour qui chaque personne ne portant de la marque était aliéné mentalement, et porteur de la peste noire. Longtemps, elle fut rejeté par les autres enfants, ou bien fut-ce l'inverse, ce qui en tout les cas ne lui laissait pour vie sociale qu'un frère complètement décalé et des parents absents. Mais entre la solitude et une personne passionnée par les puces, le choix était vite-fait malgré tout, d'où sa complicité hors-paire avec son frère. Contre toute attente, mordue par la curiosité pour la moindre petite chose l'entourant, débordante d'envie d'apprendre, si sa réputation n'était fort brillante, ce ne fut pas le cas de son savoir qui lui rayonnait. Première de la classe de longues années, elle était pour ses parents une réussite totale : la beauté, le savoir, l'élégance, le caractère.

Sa vie ne fut guère remplie, il faut dire qu'entre les études, l'esthétique, le temps passé à se maquiller et s'habiller, il ne lui restait plus qu'assez d'instants pour respirer. Puis comme toutes jolies jeunes femmes elle rêva d'autre chose, de grand air, de découverte, d'inconnu, sans pour autant quitter sa chère bourgeoisie. Elle rêvait d'aventures, de découverte, du tour du Monde, alors elle embarqua, pour ses vingt-et-un ans, à bord d'un célèbre bateau d'une compagnie japonaise, en tant que passagère luxueuse, puisqu'on ne quitte tout de même pas son petit nid douillet lorsqu'on s'y sent si bien. Sans doute parce que «qui se ressemble s'assemble» elle y rencontra un homme. Un homme fort charmant, fort riche, et fort charismatique. Un parolier japonais attirant, un aimant à femmes, un séducteur et un briseur de cœurs. Nul n'en connu la raison, beaucoup furent jaloux et mauvais comme la peste, mais ces deux adultes passèrent leur croisière dans les bras l'un de l'autre, à concrétiser leur fol amour par de nombreuses bêtises. Deux de celles-ci furent la demande en mariage du premier, et la grossesse de Eun Bin. Et comme une nouvelle n'arrive rarement seule, ce fut le moment choisi par la fameuse compagnie de sa mère pour faire faillite, réduisant en un laps de temps leurs économies à néant, leurs efforts en poussière.

Ce qui devait arriver arriva : prétextant une peur de la grossesse insurmontable, la demoiselle quitta son homme, ne voulant avouer que bientôt elle ne serait plus la femme fortunée qu'il connaissait, par honte de sa nouvelle image. Un amour détruit par une peur sans doute inutile, autant est-il que lorsque le bateau rentra en le port initial, une nouvelle page fut tournée. Ce moment, ces quelques mois, furent sans aucun doute les plus remplis qu'elle n'ai jamais connu, les plus mouvementés, et ceux qu'elle n'oublierait jamais.

Aujourd'hui Eun Bin est forcée de travailler. Son amour premier et unique a déclenché en elle une nostalgie certaine à la vue de la mer, des paquebots, si bien que lorsque l'occasion s'y présenta, elle n'hésita guère longtemps pour embaucher à bord du Paradise Place. Elle n'est plus celle qu'elle était, il y a de cela quatre ans : aujourd'hui âgée de vingt-quatre ans, mère célibataire d'un petit de trois ans, elle se démène jour et nuit pour lui offrir une enfance correcte, travaille parfois plus qu'elle ne le devrait. Mais si cela semble tragique au premier abord, sans doute est-ce pour elle sa fierté, son bonheur : elle semble épanouie, comme jamais, sauf peut-être au contact de cet Hanabusa Kiyoshi. Elle a mûri, elle est une jeune femme travailleuse et entreprenante, volontaire, elle n'est plus cette prétentieuse audacieuse. Un mal pour un bien, un nouveau tome de son histoire entamé. Mais l'ombre au tableau ? Son amour inoublié semble lui aussi désirer quelques vacances, et quoi de mieux qu'une croisière pour ceci ?