« Alors... Monsieur Lee ? Parlez moi de votre famille. » Face à lui, un homme aux cheveux grisonnant et à la sale manie de toujours remonter ses lunettes sur son nez, l'interrogeait en regardant un tas de papier. Monsieur Lee, comme il venait de le nommer, ouvrit la bouche pour lui répondre franchement: « J'voudrais pas vous surprendre ou vous faire peur, mais mon père est ambassadeur. Il passe tout son temps à voyager entre la France et la Corée du Sud, simplement pour représenter notre pays... C'est vraiment chiant comme boulot, mais ça semble bien lui plaire. Quant à ma mère, elle dirige une boutique de vêtement pour femme à Séoul, mais quasiment personne n'a les moyens pour ce payer de telles robes. » Expliquait-il en haussant les épaules, comme si cela lui était bien indifférent. L'homme en face redressa un peu sa tête pour lui lancer un regard, puis il reprit: « Et vous alors, dites moi en plus ? » N'avait-il pas son dossier sous les yeux ? Joo Ri ne comprenait pas cette question idiote, mais il répondit quand même. « Ma mère a toujours voulu avoir une fille, mais ... Elle n'a pas eu cette chance et elle a tellement mal vécu son accouchement qu'elle ne voulait plus d'enfant, du coup, elle m'a appelé Joo Ri. C'est pas viril... » Une grimace déforma son visage quand il admit que c'était même plus que guimauve comme prénom. Joori, joli. C'est moche! L'homme l'invitait à continuer son récit d'un mouvement de main. « Je suis fils unique, comme vous aurez pu le deviner et notamment, je suis né ici, à séoul. Ma mère n'a jamais voulu quitter son pays, sa ville, même pas pour suivre son mari en France. Pourtant, il y a pleins de belles boutiques à Paris, je ne comprends pas... » Certes, on s'en moquait complètement de sa mère. « Et l'école ? » Ah, l'école, soupirait Joo Ri en roulant des yeux. Il s'installait un peu mieux dans son fauteuil, croisant ses jambes l'une sur l'autre. « à l'école, j'étais surnommé "princesse" à cause de mon prénom et du boulot de mon père. Ambassadeur. Même dans une école privée, ça passe mal. J'avais un pied sur une marche au dessus d'eux et ce n'était pas plaisant à vivre... Alors j'ai voulu descendre de moi-même en jouant les idiots et en n'écoutant jamais à l'école. Dans une école réputée, c'est mauvais et je le compris quand ils me renvoyèrent. Mon père était fou de rage et il me menaçait de m'envoyer dans une école militaire, mais j'étais bien trop jeune pour cela. » Il s'en souvient encore de sa crise de nerf, quand il a fait voler son téléphone à travers le salon pour ne pas passer sa colère contre son fils. « Et que s'est-il passé ensuite ? » « Il m'a changé d'école et m'a fait jurer d'être calme et d'avoir des bonnes notes. Le scénario était le même, toujours des plaisanteries, des mauvais gages et au final, j'ai commencé à me murer dans mon monde. Mon père ne voulait pas que je joue les clowns, alors je passais mon temps à jouer sur mon portable, quand je ne bossais pas. L'école devenait une hantise pour moi et j'avais juste envie d'arrêter les études. Sauf que je ne pouvais pas, avec lui... » Soufflait-il en se grattant la nuque. L'homme hochait la tête en lâchant un 'je vois'. « En dehors de l'école, c'était comment ? » En dehors ? Oh! Joo Ri émit un petit rire amusé en passant sa main devant son sourire niais. « En dehors du bahut, je n'avais personne pour me resserrer les bretelles, alors j'en profitais pour faire des bêtises, pour m'amuser et oublier que j'étais fils d'ambassadeur. J'avais des potes, faut pas croire! Et je traînais souvent dans les arcanes de jeux, ou chez eux pour rester sur l'ordinateur. Mon portable ne me quittait jamais. » C'était le bon vieux temps, quand il pouvait s'éclater tranquillement, mais au vu de sa mine déconfite, l'homme comprit que quelque chose clochait. « Qui y a-t-il ? » « Ceci, c'était avant que je termine au poste de police... Mon père était partit en France pour son boulot et j'en avais profité pour sortir avec des amis. On a bu, on a bien rigolé et c'est un peu partit n'importe comment... J'étais tellement bourrée que je disais n'importe quoi sur twitter... ça c'est su et les rumeurs ont fusé. » Les réseaux sociaux, c'est le mal, et pourtant Joo Ri ne pouvait s'en passer. « Votre père l'a su ? » « Dès son retour à la maison et c'est là qu'il a vraiment pété sa durite. Il n'en pouvait plus de me voir si irresponsable à mon âge, à faire l'idiot et à mettre la honte sur la famille... Il m'a privé de console, d'ordinateur, de portable et il m'a même acheté un billet pour une croisière. Une cure, comme il dit. Je crois pas que ce soit très bon pour moi ... » Le jeune homme refaisait une grimace, affligé par son sort. L'homme ne pouvait rien faire pour lui, juste se lever de son siège et tapoter son épaule. La séance prenait fin et Joo Ri quittait la pièce.

Cette croisière ne lui plait guère. Son père l'a forcé à monter sur ce bateau, sans aucune technologie. Il a même envoyé un type avec lui pour le surveiller et faire en sorte qu'il ne touche à rien dans le bateau. Rien, dans le sens ordinateur, télé, portable ou quoi que ce soit dans le même style. Joo Ri désespère. La première chose qu'il a voulu faire en montant sur ce bateau, c'est sauter à l'eau. Il s'était accroché à la barrière, une jambe de l'autre côté et menaçait de sauter si on le ramenait pas en Corée. Naïf, mais tellement convainquant. Depuis, il fait en sorte de ruiner le boulot des employés et même la croisière des autres passagers.  Il se sent pas à sa place sur ce paquebot, mais il ne peut pas en descendre non plus. Triste vie.